Patrick Rambaud

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Patrick Rambaud

Patrick Rambaud , né en 1946 à Paris, est un écrivain français.

Citations[modifier]

La Bataille, 1997[modifier]

Tout en changeant son gilet de casimir taché du sang de Lannes, l'Empereur grogna entre ses dents :
– Ecrivez !
Le secrétaire, installé dans l'antichambre sur un coussin, trempa sa plume dans l'encrier.
– Le maréchal Lannes. Ses dernières paroles. Il m'a dit : « Je désire vivre si je peux vous servir… »
– Vous servir, répétait le secrétaire qui griffonnait sur son écritoire portative.
– Ajoutez : « Ainsi que notre France »…
– J'ajoute.
– « Mais je crois qu'avant une heure vous aurez perdu celui qui fut votre meilleur ami… »
Et Napoléon renifla. Il se tut. Le secrétaire restait la plume en l'air.
– Berthier !
– Il n'est pas encore sur l'île, dit un aide de camp à l'entrée de la tente.
Et Masséna ? Il est mort ?
– Je n'en sais rien, Sire.
– Non, Masséna, ce n'est pas le genre. Qu'il vienne tout de suite !

  • La Bataille, Patrick Rambaud, éd. Le Livre de Poche (origine Grasset), 1997  (ISBN 2-253-14646-3), p. 223, 224


Il neigeait, 2000[modifier]

Le capitaine d'Herbigny se sentait ridicule. Enveloppé dans un manteau clair dont le rabat flottait sur les épaules, on devinait un dragon de la Garde au casque enturbanné de veau marin, crinière noire sur cimier de cuivre, mais à califourchon sur un cheval nain qu'il avait acheté en Lituanie, ce grand gaillard devait régler les étriers trop courts pour que les semelles de ses bottes ne raclent pas le sol, alors ses genoux remontaient, il grognait : « A quoi j'ressemble, crédieu ! de quoi j'ai l'air ? » Le capitaine regrettait sa jument et sa main droite. La main avait été percée par la flèche envenimée d'un cavalier bachkir, pendant une escarmouche ; le chirurgien l'avait coupée, il avait arrêté le sang avec du coton de bouleau puisqu'on manquait de charpie, pansé avec du papier d'archives à défaut de linge. Sa jument, elle, avait gonflé à force de manger du seigle vert trempé de pluie : la pauvre s'était mise à trembler, elle tenait à peine debout ; quand elle trébucha dans une ravine, d'Herbigny s'était résigné à l'abattre d'une balle de pistolet dans l'oreille (il en avait pleuré).

  • Incipit
  • Il neigeait, Patrick Rambaud, éd. Le Livre de Poche (origine Grasset), 2000  (ISBN 2-253-15264-1), p. 11


- Mon général, dit d’Herbigny au garde-à-vous.
- Quoi ? dit le blessé.
- Capitaine d’Herbigny, 4̺ème escadron, à vos ordres.
- Herbigny…
- Vous m’avez confié la brigade.
- Où est-elle ?
- Ici mon général !
- Je ne comprends pas…
- La brigade, c’est moi ! dit le capitaine en se frappant la poitrine.

  • Il neigeait, Patrick Rambaud, éd. Le Livre de Poche (origine Grasset), 2000  (ISBN 2-253-15264-1), p. 306


Sébastien ne trouvait pas ses mots ; il s’en alla. La semaine suivante, comme il rajoutait des vers de Molière, plus vifs, dans une tragédie de Racine, il apprit par un billet de Paulin que le capitaine d’Herbigny s’était jeté par la fenêtre, le poing fermé sur une petite croix en or. Sébastien Roque, vice-directeur de la librairie, griffonna un pense-bête en marge de sa copie : Prévenir Paulin que j’achète les terres et le château.

  • Il neigeait, Patrick Rambaud, éd. Le Livre de Poche (origine Grasset), 2000  (ISBN 2-253-15264-1), p. 320


L'Absent, 2003[modifier]

A midi, L’Empereur sortit sur le perron, Bassano et Belliard l’entouraient dans une grappe d’aides de camp et de barons. Il y eut un brouhaha, comme une houle. Napoléon enleva son chapeau pour saluer les soldats qui levaient le nez vers lui, puis il descendit rapidement l’escalier en fer à cheval, s’avança en face des troupes qui avaient pris le garde-à-vous sans qu’on leur en donnât l’ordre. Quelques grognards avaient des larmes, d’autres reniflaient. L’empereur leva le bras, mais aucune acclamation délirante ne répondit comme d’habitude à ce geste ; un silence épouvantable s’installait. Il se mit à parler ; seuls les officiers massés devant lui entendaient vraiment ses paroles ; ils les répétaient derrière eux au fur et à mesure, et les phrases, par bribes, couraient de bouche en bouche, fortifiées par leur simplicité : « Je pars… Vous, mes amis, continuez à servir la France… Je vais écrire les grandes choses que nous avons faites ensemble… Adieu, mes enfants ! »


La Grammaire en s’amusant, 2007[modifier]

Nous pouvons déchiffrer, gribouiller, ânonner, nous contenter d’un langage pénible et hésitant, mais dans la vie moderne, même pour se promener sur Internet, mieux vaut lire, écrire et parler clair. La grammaire n’est qu’un mode d’emploi qui évolue avec l’usage et le temps. Ce n’est pas une punition mais une nécessité, un droit, une chance et un jeu.


La clarté est d'abord une politesse, et la politesse, j'en conviens, n'est pas à la mode, mais si le premier imbécile te décourage tu te prépares un avenir pénible.


Les hommes ont créé les mots à leur image : familiers des régions où ils circulent, ils vivent et palpitent comme de véritables individus.


Chronique du règne de Nicolas Ier, 2008[modifier]

– Eh bien, Monsieur, ça dit quoi ce bouquin ?
– C'est un livre d'histoire, Sire.
– Et je suis dedans ?
– Oui et non, Sire…
– Comment ça ?
– En parlant de Napoléon, M. le duc parle aussi de votre Majesté.
– Explique-toi, bougre de mulet !
– M. le duc écrit que la chute de Napoléon était inscrite déjà, dans son ascension et dans son triomphe.
– Vois pas.
– Au sommet, on ne peut que redescendre.
– Il attend que j'me casse la gueule, hein ?
– Voilà, Sire.

  • Chronique du règne de Nicolas Ier, Patrick Rambaud, éd. Grasset, 2008  (ISBN 978-2-246-73571-7), p. 150, 151


Deuxième chronique du règne de Nicolas Ier, 2009[modifier]

– Vous en profiterez, Sire, pour neutraliser par le rire les questions gênantes.
– J'peux mentir ?
– C'est même recommandé, puisque personne ne peut sur l'instant vous contrer. Ce qui est dit est dit, l'effet est produit, le poisson est noyé, les critiques du lendemain ont une moindre portée.
– Ah ah !
– Ah ah, Sire. La politique, c'est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde.
– Pas con, ça. C'est d'toi ?
– Hélas non, Sire, c'est de Valéry.
– Valérie qui ?
– Paul, Sire.
– Valérie Paul ? Elle a pas l'air sotte, faut que tu l'engages fissa. T'as son numéro ?

  • Deuxième chronique du règne de Nicolas Ier, Patrick Rambaud, éd. Grasset, 2009  (ISBN 978-2-246-75231-8), p. 55, 56


Troisième chronique du règne de Nicolas Ier, 2010[modifier]

– Que voudra sa majesté pour le déjeuner ?
– Un steak.
– Et pour les légumes, Sire ?
Le Prince passa lentement le yeux sur toute la compagnie :
– Des steaks aussi.

  • Troisième chronique du règne de Nicolas Ier, Patrick Rambaud, éd. Grasset, 2010  (ISBN 978-2-246-76681-0), p. 14


– J'avais raison, Sire ! dit-il en se raclant la gorge. L'aristocratie financière meurt de ses turpitudes !
– Tu t'calmes et tu expliques…
– Lehman Brothers vient de tomber !
– Y s'est fait mal ?
– C'est l'une des plus puissantes banques en Amérique, Sire. Zéro ! Ruinée ! Plus de joujou ! Des milliards envolés ! Pire que Merrill Lynch l'année dernière, vous vous en souvenez, plus de deux milliards de pertes !
– J'me souviens ? Non.
– C'est la crise ! Elle va gagner le monde puisque le monde est mangé par l'aristocratie financière, et quand ça détricote là-bas, ça vient chez nous ! Ce capitalisme joueur et pervers, il doit être puni.

  • Troisième chronique du règne de Nicolas Ier, Patrick Rambaud, éd. Grasset, 2010  (ISBN 978-2-246-76681-0), p. 22


Tombeau de Nicolas Ier et avènement de François IV,2013[modifier]

Que cent mille grâces vous soient rendues, Sire, pour avoir suivi le conseil que j’osais vous prodiguer à l’issue de ma dernière Chronique : vous avez finalement dégagé. J’avoue, je n’avais pas le courage d’en reprendre pour cinq ans, tant ce travail de soutier épuise le style et le moral.
  • Tombeau de Nicolas Ier et avènement de François IV, Patrick Rambaud, éd. Grasset, 2013  (ISBN 978-2-2468-0399-7), p. 11


François IV remonta Les Champs-Elysées, debout dans une Citroën DS 5 grise et hybride, qui risquait de caler sans cesse en roulant au pas. Le toit était découvert et l’averse cueillit le Récent Monarque sitôt franchie la grille du Coq ; il resta quand même debout dans son auto (…) trempé de partout et le veston collé au dos. Derrière des carreaux mouillés, un myope ne voit rient au-delà de trois centimètres, mais François IV, ruisselant, cheveux plaqués au crâne, souriait comme un aveugle dans la brume et saluait de la main une foule clairsemée par ce gros temps.
  • Tombeau de Nicolas Ier et avènement de François IV, Patrick Rambaud, éd. Grasset, 2013  (ISBN 978-2-2468-0399-7), chap. VII, p. 200


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