Jean Cau

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Jean Cau, né le 8 juillet 1925 à Bram et mort le 18 juin 1993 à Paris, est un écrivain, journaliste et polémiste français.

Mon lieutenant, 1985[modifier]

– On pourrait se les faire, mon lieutenant.
Valentin regarde Perou avec étonnement, mais le soldat soutient son regard. Quatre longues secondes.
– Oui, on pourrait…
– On aurait fait la guerre, murmura Ramier.
– Sergent, vous filez doucement sur la droite avec le FM. Vous (il désigne Perou) vous couvrez à droite, au coin de la serre. Aux premiers coups de feu que nous tirons, ici, vous arrosez.
Mais les Français ignoraient qu'à l'ombre d'une haute barrière d'ifs soigneusement taillées et formant, à gauche du château, une rotonde ouverte, les deux automitrailleuses s'étaient déjà rangées.


Croquis de mémoire, 1985[modifier]

Plus tard (je journalisais à L’Express) je le suivis, lors d’une campagne électorale, dans la Nièvre.
Je n’avais jamais encore été spectateur de ce sport et fus surpris de voir quels exercices devaient pratiquer ses champions.
Une voiture noire (elles avaient presque toutes cette couleur en ce temps-là) qui s’arrête devant une cour de ferme.
On descend.
On serre la patte des croquants.
On parle avec l’homme pendant que la femme apparaît sur le seuil et essuie ses mains rougeaudes à son tablier.
On repart.
On stoppe devant la mairie d’un petit village.
On est reçu par quelques indigènes municipaux qui grisonnent, portent casquettes -qu’ils ôtent- et ont de la moustache.
On s’assied derrière une méchante table et on parle.
Infatigablement.
C’est la démocratie électorale en campagne, à ras de bouse et de propos.
« Seigneur ! Pensais-je, plutôt se suicider ou être poiçonneur de métro que faire ce métier.
C’est cher payer la fréquentation, à Paris, des danseuses... »
[…]
Je regardais, j’écoutais cette machine à parler, à tailler, couper, lacérer, froisser ou repasser, coudre ou découdre l’argument, de sa baguette lancer les violons ou, brusquement, déchaîner les cuivres…
L’orateur !
Les spectateurs étaient conquis.
J’admirais mais en même temps me tenaillait une gêne car l’homme, à la tribune, usait, me semblait-il, d’un lyrisme uniquement fabriqué pour être projeté à l’extérieur avec une violence à la fois impudique et insincère.
Je pensais que cet homme était étrange, qui dosait ses fougues à la commande et je n’aurais pas été étonné qu’en coulisses, après son numéro, quelqu’un s’avançât vers lui pour lui tendre, dans une enveloppe, un salaire d’avocat.
« Alors, Mitterrand ? » me demanda-t-on à Paris.
« Alors, dis-je, s’il ne s’agit que de manier des mots avec une virtuosité redoutable, c’est quelqu’un qui un jour ira loin. »


Il arrivait, toujours pressé, lourd de secrets mettant en cause au moins l’avenir de la démocratie, le sort de la France et, car ses élans étaient irrésistibles, l’équilibre du monde qui se mettait à tourner, le temps d’une prophétie, autour de lui, quand il n’était pas arrimé sur les épaules de ce nouvel Atlas, mi-Tintin mi-Père Joseph de vaudeville, à la fois wonderboy et chef-bulldozer de la tribu SS (ces initiales signifient ici, évidemment, Servan-Schreiber), capable d’être émerveillé aussi bien par un projet que par n’importe quelle théorie apprise entre poire et fromage, faisant preuve de manière déroutante d’un sens réel et pète-sec de l’organisation, d’un flair commercial très aigu et, en même temps, d’une pathologique confusion d’idées ingurgitées à toute vitesse et jaillissant ensuite en foucades.
Jean-Jacques, en vérité, ne s’était jamais relevé d’avoir été « brillant » à vingt-cinq ans et d’avoir fait l’objet d’une adoration familiale absolue.
Il arrive en effet que pareil culte perturbe définitivement un jeune homme qui, pour avoir été habitué à briller dans le cercle familial, se croira plus tard appelé à éblouir le monde comme il éblouissait maman, papa et les petites sœurs.
Sauf que son inconscience et son enfantin toupet, plus tard, ne recueilleront pas la même indulgence et que d’autres yeux ne seront pas aveuglés d’admiration mais s’écarquilleront à contempler, du personnage, les cabrioles et les « réceptions » - comme on dit en gymnastique – ridicules.


Je divorçai pendant sept ans.
Sept ans au cours desquels le « style Giscard » me râpa les nerfs.
En même temps, je voyais cet homme marcher vers la défaite et, plus que l’assurance exaspérante de sa démarche, m’irritait son inconscience.
Il se voulait heureux et j’ai toujours pensé qu’il y a, dans la confiance optimiste en ses bonheurs, une ignorance du monde et un manque de flair pour humer, apportées par le vent, les belles et bonnes catastrophes.
Les gens trop entièrement heureux m’ennuient et je crois, en outre, qu’ils ignorent la joie.
D’elle, jamais ivres.
Parfois grisés par le vin blanc de la gloire (si être président de la République cela s’appelle la gloire…) mais d’une griserie courtoise, polie, maîtrisée et dont on sait qu’elle ne vous fera pas monter sur la table, au milieu de la vaisselle brisée, pour y pousser un chant d’orgueil.
Giscard grisé ?
Oh oui.
Giscard soûl à rouler ?
Oh non, mademoiselle, madame, monsieur, c’est inimaginable.

Quinze jours avant l’élection de mai 1981, je revis, à sa demande, Valéry Giscard d’Estaing à l’Élysée.
Après sept ans de divorce, je n’avais pas d’ailes pour me rendre à ce rendez-vous.
Et j’entrai dans son bureau qu’il avait choisi, par idée gracieuse, de dimensions intimes.
- Vous avez l’air de mauvaise humeur, me dit-il tout de go mais avec un sourire.
- C’est que, lui répondis-je, Monsieur le Président, quand on vient chez vous, on gravit des perrons, on monte des escaliers, on traverse des antichambres, on franchit des sas, si bien qu’avant de passer la dernière porte on est un peu fatigué. […]
- Je crois savoir, me dit VGE, que vous n’avez pas toujours compris mon action et j’ai donc souhaité vous voir pour essayer de vous l’expliquer.
Si vous-même le souhaitez, évidemment.
Eh bien, si vous voulez me poser des questions, c’est très volontiers que je vous répondrai.
- Voilà, dis-je, qui commence fort mal car je ne suis pas venu vous poser des questions.
Je sais en effet que vous y auriez automatiquement réponse, et je préférerais vous dire pourquoi je ne vous ai pas compris.
- Eh bien, je vous écoute.
Je parlai.
Je terminai en exprimant des doutes sur sa réélection.
Il m’assura que les Français étaient « raisonnables ».
Je lui répondis que l’histoire n’était pas celle des raisons des hommes mais celle de leurs passions et qu’il s’agissait, dans une élection de ce type, au suffrage universel, de « courant ».
- Ca passe, je le crains, du côté de M. Mitterrand, ça grésille du vôtre.
J’avais tort, me dit-il.
Dans l’isoloir, « la raison » l’emporterait.
J’avais raison.


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